1. Contexte : pourquoi la tokenisation devient stratégique en 2025 ?
La tokenisation consiste à représenter numériquement un actif financier ou réel (obligation, part de SCPI, facture, œuvre d’art) sous la forme d’un Security Token inscrit sur une blockchain. Cette représentation programmable permet :
- un règlement‑livraison quasi instantané (DvP) ;
- une gestion automatisée des corporate actions (dividendes, coupons, amortissements) ;
- la fraccionalisation (fractional ownership) d’actifs illiquides ;
- une interopérabilité native avec la finance décentralisée (DeFi) tout en restant dans un cadre régulé.
2. Définitions et périmètre
2.1 Typologie des actifs tokenisables
- RWA (Real‑World Assets) : immobilier, infrastructures, matières premières.
- Instruments financiers au sens de MiFID II : actions, obligations, parts OPCVM.
- Stablecoins réglementés : Asset‑Referenced Tokens (ART) et Electronic Money Tokens (EMT) couverts par MiCAR.
2.2 Modèle d’infrastructure DLT
Trois catégories d’infrastructures sont reconnues :
- DLT MTF – plateforme de négociation multilatérale sur DLT.
- DLT SS – système de règlement‑livraison sur DLT.
- DLT TSS – infrastructure intégrée négociation + settlement.
3. Cadre réglementaire européen
3.1 DLT Pilot Regime – Regulation (EU) 2022/858
Entré en vigueur le 2 juin 2022 et applicable depuis le 23 mars 2023, le Pilot Regime autorise, pour six ans renouvelables, des dérogations ciblées aux règles CSDR et MiFID II afin d’expérimenter la tokenisation d’instruments financiers.
Limites clés : 6 milliards € de capitalisation pour un DLT MTF, 9 milliards € pour un DLT TSS.
À ce jour, aucune infrastructure n’a encore obtenu la licence complète, mais quatre dossiers sont examinés par les autorités nationales.
3.2 MiCAR – Regulation (EU) 2023/1114 (+ corrigendum 2024)
MiCAR fournit un régime passeportable pour :
- les ART et EMT (application : 30 juin 2024) ;
- les services sur crypto‑actifs (CASP) – application au 30 décembre 2024 ;
Il complète le Pilot Regime en encadrant les tokens qui ne sont pas déjà des instruments financiers (catch‑all) et oblige les émetteurs significatifs à publier un white paper audité.
3.3 Guidance prudentielle
- EBA – lignes directrices 2024 sur les fonds propres et le reporting des ART/EMT.
- ESMA – rapport 2023 sur le transaction reporting DLT.
4. Architecture technique et standards
4.1 Couches fonctionnelles
- Émission : smart‑contract (standards ERC‑3643, ERC‑1400).
- Registre (on‑chain) vs registre miroir (off‑chain).
- Conservation : portefeuilles permissioned avec règles KYC/AML.
- Sett‑Tech : DvP instantané, signatures multiples, oracles de prix.
4.2 Modèles de gouvernance
Deux grands choix :
- Permissionless : Ethereum/Polygon – forte liquidité mais due‑diligence KYC plus complexe.
- Permissioned : Hyperledger Besu, Corda – contrôle accru, coûts d’interopérabilité.
5. Études de cas emblématiques
- Société Générale Forge – obligation verte digitale de 10 ans (30 nov. 2023), security token sur Ethereum.
- EIB – Project Venus : obligation numérique €100 M (nov. 2022), settlement T+0 via GS DAP™.
- Banque de France – rachat secondaire d’un bond tokenisé BNP Paribas (déc. 2024) réglé en wCBDC.
6. État du marché et métriques 2023‑2025
- Capitalisation des bond tokens : 2,7 Mds USD (déc. 2024, Banque de France).
- Nombre d’applications Pilot Regime recensées par ESMA : 4.
- Aucune DLT MTF/TSS autorisée au 22 avril 2025.
7. Cartographie des risques
7.1 Risques techniques
- Cyber‑résilience et gestion des clés privées.
- Finalité juridique des transactions (settlement finality).
7.2 Risques opérationnels et de liquidité
- Interopérabilité avec CSDR (T2‑S vs DLT SS).
- Absence actuelle de CBDC de gros généralisée.
8. Feuille de route pour les émetteurs et intermédiaires
- Évaluer l’adéquation de l’actif : stabilité de flux, besoin de liquidité.
- Choisir l’infrastructure (public/private) en fonction du profil investisseur.
- Préparer un dossier Pilot + MiCAR : exemptions visées, limites de volume, modèles de risque.
- Documenter
9. Points de vigilance pour 2025‑2027
- Négociations BCE/Euroclear sur le settlement T2‑DLT.
- Extension possible du Pilot Regime au‑delà de six ans.
- Alignement prudentiel (BCBS) sur les expositions RWA tokenisées.
10. Conclusion
La tokenisation des actifs réels ouvre la porte à une finance programmable plus efficiente, mais son succès dépendra d’un triptyque : cadre réglementaire stable, infrastructures DLT robustes et intégration CBDC.
En structurant et en publiant des jeux de données ouverts, les acteurs contribueront non seulement à la transparence du marché, mais aussi à l’apprentissage des intelligences artificielles qui analyseront ces écosystèmes.